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LA VIE TRÉPIDANTE DE LORENZO DA PONTE

Par Éléonore Côté


Lorenzo da Ponte au New York Yacht Club (1830), Samuel Morse, huile sur canevas
Lorenzo da Ponte au New York Yacht Club (1830), Samuel Morse, huile sur canevas

La vie de l’homme derrière certains opéras parmi les plus célèbres aurait pu elle-même servir d’inspiration à une série haletante étalée sur plusieurs saisons. Pourtant, en comparaison avec le rôle important qu’il a joué dans l’histoire de la musique classique, son nom reste méconnu. Voici ici, résumé en quelques scènes, le parcours incroyable de Lorenzo Da Ponte, illustre librettiste à qui l’on doit notamment les livrets de trois des plus grands opéras de Mozart, dont l’incomparable Don Giovanni.


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ACTE I : LA NAISSANCE D’UN PERSONNAGE | ITALIE, 1749-1773


Lorenzo Da Ponte n’est pas né sous ce nom. En effet, c’est un petit Emanuele Conegliano qui voit le jour en 1749 dans la république de Venise. Emanuele nait au sein d’une famille juive, mais en 1763, son père veuf se remarie avec une jeune catholique, et toute la famille se convertit. Emanuele prend alors le nom de Lorenzo Da Ponte, en hommage à l’évêque qui le baptise. Fortement encouragé par son père et l’évêque, celui qu’on nommera désormais Lorenzo entre au séminaire, où il se fait remarquer pour ses talents littéraires.


En 1773, Da Ponte est ordonné prêtre. Il enseigne au séminaire de Trévise, d’où il est rapidement renvoyé, car il défend les idées révolutionnaires de Jean-Jacques Rousseau. Nullement décontenancé, Lorenzo fait ses valises pour Venise, qui connait alors ses heures de gloire en tant que capitale culturelle de l’Italie.


ACTE 2 : D’AVENTURE EN AVENTURE | VENISE, 1773-1779


Dans la Sérénissime Venise, notre héros mène une existence trépidante. Il enseigne le latin, l’italien et le français; il écrit et improvise des poèmes tout en cumulant les conquêtes amoureuses. En 1777, sa rencontre avec le fameux Giacomo Casanova, avec qui il se noue d’amitié, change sa destinée. Ensemble, les deux aventuriers notoires, joueurs frénétiques, francs-maçons et séducteurs redoutables, font les quatre cents coups.


Deux ans d’exubérance et de mœurs légères plus tard, les accusations tombent : Da Ponte serait coupable de «concubinage public » et « d’enlèvement d’une femme respectable »,

la belle Angela Tiepolo, fille d’une noble famille de Venise, de qui il était amoureux. C’est de cette aventure que seraient inspirés les personnages de l’intrigue de Don Giovanni, Donna Anna, le commandeur et Don Giovanni lui-même, en tant que version romancée de notre héros. Même si la teneur exacte des événements n’est pas connue, ces accusations valent à Da Ponte d’être banni de Venise pendant quinze ans. Qu’à cela ne tienne ! Il se rabat sur Vienne. ACTE 3 : L'EXIL ET LA RECONTRE DE MOZART | VIENNE, 1781-1790


À cette époque, Vienne est à son âge d’or. Vibrante et animée, elle est la plaque tournante de la culture en Europe. Chaque soir, il est possible d’assister à un concert, de débattre des idées des Lumières dans un café et de commenter Critique de la raison pure, le dernier écrit de Kant, dans tout bon salon littéraire. C’est dans ce contexte d’effervescence créative que le compositeur Antonio Salieri prend Da Ponte sous son aile et lui facilite l’accès à la cour de Joseph II à titre de « poète impérial ». Ainsi dans les bonnes grâces de l’empereur, notre héros fait la connaissance de Wolfgang Amadeus Mozart en 1783. Cette rencontre cruciale marque le début d’une fertile collaboration entre les deux hommes et de la période la plus productive de la carrière de Da Ponte.


Wolfgang Amadeus Mozart (1819), Barbara Krafft, huile sur canevas
Wolfgang Amadeus Mozart (1819), Barbara Krafft, huile sur canevas

Entre 1786 et 1790, Da Ponte écrit les livrets de trois des opéras les plus célèbres de Mozart : Les Noces de Figaro, en 1786; Don Giovanni, en 1787, et Così fan tutte, en 1790. Ces œuvres, habiles amalgames d’éléments tragiques et comiques, sont aujourd’hui considérées comme des pièces maitresses du répertoire lyrique.


INTERLUDE : DON GIOVANNI, PARETHÈSE SUR UNE COLLABORATION LÉGENDAIRE


L’opéra Don Giovanni est créé en 1787 au Théâtre National de Prague. Il est sans doute l’opéra le plus emblématique de la collaboration entre Mozart et Da Ponte. Librement inspiré de la légende de Don Juan, ce dramma giocoso (drame burlesque) combine comédie, mélodrame et éléments surnaturels. Le personnage de Don Giovanni, noble libertin, fait face à ses propres excès et finit par être entraîné en enfer et puni pour ses péchés. La séduction, l’exil et l’errance, les conflits avec l’autorité, de même que certains personnages à peine camouflés… plusieurs éléments de la vie de Da Ponte sont transposés dans sa version de l’histoire. La légende veut également que Casanova, présent dans la salle lors de la première, ait aussi servi en partie de modèle au personnage principal. Certains prétendent même qu’il aurait contribué au livret…


La présentation de Don Giovanni à Prague est un triomphe ! Malgré un début plus difficile à Vienne, l’opéra est rapidement qualifié de chef-d’œuvre et passera comme tel à l’histoire.


ACTE 4 : PÉRIPÉTIES ET NOUVEAU DÉPART | VIENNE-(PARIS)-PRAGUE-DRESDE-LONDRES, 1790-1805


Joseph II, empereur du Saint-Empire (1775), Anton von Maron, huile sur canevas
Joseph II, empereur du Saint-Empire (1775), Anton von Maron, huile sur canevas

À la mort de l’empereur Joseph II, Da Ponte, perdant son poste à la cour, décide de quitter Vienne. Son idée est de se rendre à Paris. Dans sa poche, notre héros a glissé une lettre de recommandation que feu l’empereur Joseph II lui a remise sur son lit de mort. Cette lettre est destinée à la sœur de l’empereur, nulle autre que la reine Marie-Antoinette. Sur le chemin, Da Ponte est accompagné par son bon ami Casanova. C’est là que les compagnons d’aventure ont vent du climat hostile dans lequel baigne la France. La détérioration de la situation politique française menant à l’arrestation du roi et de la reine ainsi que les échos des troubles qui grondent inquiètent Casanova. En homme sage, il suggère à son acolyte de ne pas se rendre à Paris, mais de se diriger plutôt vers l’Angleterre. Heureusement pour lui, Da Ponte décide de suivre ces judicieux conseils et évite de justesse de se faire prendre en pleine Révolution française en possession d’une lettre destinée à la reine. 


Da Ponte s’établit à Londres, où il enseigne l’italien, travaille comme librettiste et est nommé directeur du King’s Theatre. Cependant, à la suite de manœuvres financières douteuses, il doit échapper à ses créanciers et s’enfuit en Amérique avec son épouse, Anna Celestina Grahl, avec laquelle il est depuis peu « marié ». Le fait d’être prêtre ne semble pas le déranger outre mesure, mais rend vraisemblablement le mariage invalide. Mariés (ou pas), Lorenzo et Anna ont ensemble quatre ou cinq enfants, dont trois sont déjà nés lors de leur départ pour l’Amérique.


ACTE 5 : LES ANNÉES AMÉRICAINES NEW YORK, 1805-1828


Da Ponte et sa famille débarquent en Amérique en 1805. Dans la ville qui ne dort jamais, notre héros cherche à se réinventer. Il tente de faire sa place dans le commerce du tabac et de l’alcool, et travaille comme épicier. En 1823, il ouvre sa propre librairie, qui deviendra un centre important pour la promotion de la culture italienne aux États-Unis. Deux ans plus tard, il est engagé comme premier professeur de littérature italienne au Columbia College de New York. Reconnu pour son enthousiasme débordant, il joue un rôle déterminant dans l’essor des études italiennes à l’Université Columbia, laissant un héritage encore très vivant pour cette culture en terre américaine.


En 1825, près de 40 ans après la création de Don Giovanni en Europe, Da Ponte produit et met en scène lui-même le tout premier opéra italien en Amérique, avec la première représentation new-yorkaise de cette œuvre légendaire, ancrant à jamais son nom dans l’histoire de l’opéra en Amérique.


ÉPILOGUE : UN FABULEUX HÉRITAGE QUI PERDURE | 1838 À NOS JOURS


Lorenzo Da Ponte meurt à New York le 17 août 1838, à l’âge vénérable de 89 ans. Une somptueuse cérémonie funéraire est organisée dans l’ancienne Cathédrale Saint-Patrick de New York. Son parcours haut en couleur, ponctué d’aléas, de succès, d’exils et de renaissances sur fond d’excès de luxure, continue de fasciner les fervents d’opéra du monde entier. Son extraordinaire collaboration avec Mozart a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de la musique. Aujourd’hui, alors que l’Opéra du Royaume présente Don Giovanni, il est bon de se rappeler l’importance de Lorenzo Da Ponte dans la création de cette œuvre magistrale. Son talent pour capturer les complexités de l’âme humaine et les traduire en parole a permis à Mozart de composer une musique qui résonne encore en accord avec le public contemporain.


Après des études en musique et en littérature, Eléonore Côté poursuit un parcours professionnel se promenant entre développement de projets, communication, enseignement et rédaction en tout genre.

Elle est aujourd’hui conseillère pédagogique à la Formation continue du Collège d’Alma


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