Alors que nous accueillons les artistes lyriques à Saguenay pour débuter les répétitions de Don Giovanni, notre directeur artistique, John La Bouchardière, nous explique pourquoi il a choisi cet opéra comme production principale de la compagnie sous la nouvelle direction.

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C'est la première fois que l'Opéra du Royaume présente un opéra de Mozart. Pourquoi as-tu fait ce choix et pourquoi Don Giovanni en particulier ?
Je crois que pour captiver son public, une compagnie d’opéra se doit d’offrir l’œuvre la plus remarquable possible. Et quel meilleur moyen que de commencer avec une œuvre de l’un des plus grands compositeurs d’opéra de tous les temps ?
Don Giovanni n’est peut-être pas la plus parfaite de ses collaborations avec le librettiste Da Ponte, mais elle est sans doute la plus envoûtante : un mélange saisissant de comédie et de tragédie, imprégné de passion et de suspense, avec une musique d’une beauté sublime et une profondeur émotionnelle presque inégalée. Pour moi, peu d'œuvres, voire aucune, ne le surpassent. Mozart nous fait éclater de rire en un instant, puis nous fait verser une larme l'instant suivant, avant de nous faire totalement perdre la tête. C’est une expérience en montagnes russes sur tous les plans, et assurément une soirée inoubliable.
Don Giovanni est aussi un opéra que je connais très bien, ayant participé à trois productions au cours de ma carrière et assisté à au moins dix productions différentes. Bien connaître une pièce et ses points forts constitue une bonne recette et un choix sûr pour la compagnie à ce stade. Je dois ajouter que si l’idée de monter Don Giovanni est la mienne, c’est un choix fait en collaboration avec Marie-Eve.
De plus, d’un point de vue pratique et dans le contexte économique actuel, Don Giovanni, grâce à sa variété et à son action captivante, n'est pas un opéra qui nécessite une scénographie luxueuse et des costumes coûteux. Avec Don Giovanni, nous pouvons donc créer quelque chose de très beau et d’efficace sur scène, mais sans nous ruiner !

Et Don Giovanni lui-même ? N’est-il pas un choix controversé ?
Le comportement de Don Giovanni est inacceptable ; il l’a toujours été, mais pas pour les mêmes raisons. À première vue, il est un « vilain » personnage : il transgresse les règles, brise de nombreux cœurs et commet des actes bien plus graves encore. Au XVIIIe siècle, il incarnait une menace pour l’ordre patriarcal, méprisant l’Église et l’institution du mariage. Aujourd’hui, nous avons tendance à le voir comme un homme préoccupé davantage par sa propre satisfaction que par le consentement des autres.
Quelle que soit l’opinion que l’on ait de Don Giovanni, il reste un fait : il existe des individus comme lui dans le monde, et étonnamment, beaucoup de gens les trouvent non seulement attirants, mais parfois même admirables. « Tout le monde aime les mauvais garçons », entend-on parfois, mais les victimes ne sont pas d'accord et ressentent un fort besoin de justice. Cet opéra est en quelque sorte une occasion d’explorer cette fascination, ainsi que le conflit qu’elle génère. Quel est l’attrait de ceux qui agissent à l’encontre des règles? Envions-nous leur audace, ou condamnons-nous leur mauvaises actions? Le fait que ce choix puisse paraître controversé fait partie de ce qui le rend digne de notre attention.
Il sera intéressant d’observer comment Don Giovanni évoluera au cours de nos répétitions, notamment avec l’interprétation de Dominique Côté, mais aussi avec la réaction de ses collègues féminines. Un personnage sur scène est largement défini par la manière dont les autres le reçoivent, et l’apport de Carole-Anne Roussel (Donna Anna), Odéi Bilodeau (Donna Elvira) et Emma Fekete (Zerlina) influenceront profondément l’image qu’il renverra au public.
Mon propre point de vue est que Don Giovanni se croit sincère lorsqu’il affirme qu’il serait cruel de refuser son amour aux femmes s’il restait fidèle à l’une d’elles. C’est une pensée perverse, mais il y demeure fidèle, et examiner une telle obsession psychologique est d’une fascinante complexité.

Que peux-tu nous dire de la mise en scène ?
Don Giovanni est un peu le rêve d’un metteur en scène, principalement en raison de son histoire captivante, mais aussi parce que le public y reste rarement passif. L’intrigue est remplie de conflits et de personnages qui désirent l’impossible, ce qui est une recette puissante pour le théâtre. La pièce est souvent très drôle, parsemée d’insultes et parfois un peu crue (sa dette envers la tradition de la commedia dell'arte n’est pas cachée), mais elle traite aussi de vengeance, de chagrin et de douleur.
Le refus de Giovanni de se repentir à la fin frôle le mythe de Prométhée, mais Da Ponte et Mozart ont su rendre cela parfaitement cohérent dans une œuvre qui, par moments, semble presque absurde. En mêlant ces opposés, les créateurs ont pris les traditions et les ont bousculées, retournées, ce qui rend l'opéra théâtralement audacieux et aussi rebelle
que son protagoniste. Concevoir une mise en scène à la hauteur de cet audace est un véritable défi.
Quant à la manière dont nous allons tenter de le faire, je préfère ne pas trop en révéler au public à l’avance. Pour moi, c’est une chance d’aller à l’opéra comme au cinéma : en en sachant assez pour se convaincre que l’expérience va nous plaire, mais pas assez pour gâcher l’effet de surprise. Nous cherchons avant tout à ce que le public se sente profondément impliqué dans la représentation. L’idée des tables de cabaret, par exemple, est de faire en sorte que le public ait l’impression de participer à certaines scènes, notamment la fête, où il pourra même trinquer avec les personnages. Ce ne sera pas un spectacle conventionnel.
Au-delà de cela, la nature de ce spectacle reste un secret à découvrir au fur et à mesure des répétitions. Même si certaines décisions ont été prises en concertation avec les concepteurs, il reste beaucoup à explorer pendant le processus de répétitions, surtout avec les chanteurs. Pour moi, il est essentiel que les artistes soient activement impliqués dans la création du parcours de leurs personnages, afin qu’ils puissent transmettre leurs actions avec conviction et authenticité.

Pourquoi le chanter en français ?
C’est peut-être à mon tour d’être le rebelle, mais n’est-ce pas évident ? Le public au Saguenay est francophone. Pourquoi chanter en italien, alors ?
Avant l’invention des surtitres, il était très courant que les opéras soient interprétés en traduction, car cela favorisait l’expérience du public. Notre traduction est nouvelle, mais nous avons examiné attentivement deux versions existantes datant de plus de cinquante ans. Nous revenons ainsi simplement à la façon dont les choses se faisaient avant.
Avec l’avènement des enregistrements et des CD, l’attention des compagnies et du public s’est de plus en plus portée sur la reproduction des sons voulus par le compositeur, plutôt que sur le sens qu’il essayait de transmettre. Ce désir de fidélité musicale a cependant un coût énorme en termes de communication, et j’ai du mal à croire qu’un compositeur intéressé par le théâtre ait voulu que son œuvre soit interprétée dans une langue qui ne soit pas comprise par le public.
Lorsque Verdi a écrit ou adapté ses opéras pour Paris, ils l’ont fait en français. Si Le Vaisseau fantôme de Wagner avait été créé à Paris, comme prévu, il l’aurait écrit en français. Je ne doute pas que la même chose aurait été vraie pour Don Giovanni. Mozart a toujours écrit pour son public — en allemand pour les classes moyennes, en italien pour la cour — donc je pense que c’est fidèle à l’esprit des souhaits du compositeur que nous intervenions, même si cela reste un défi.
J’ai collaboré à notre version avec Véronique Gauthier, écrivaine, éditrice et chanteuse de Montréal, avec Christopher Gaudreault, le directeur musical, les membres de la distribution, ainsi qu’avec Marie-Eve. Ce fut une tâche énorme de concilier les différences d’accents toniques des deux langues, en préservant le sens et les schémas de rimes de Da Ponte, tout en essayant de rendre le tout plus contemporain et moins européen. Mais je suis convaincu que le public préférera cela à l’alternative.
C’est une opinion impopulaire, mais à mon avis, il y a un problème fondamental avec les surtitres dans une salle d’opéra, car ils nourrissent le public de sens par le biais du mot écrit, et si le cerveau reçoit ce dont il a besoin par les yeux, il n’a plus besoin d’utiliser ses oreilles. Malgré toutes les bonnes intentions, les surtitres réduisent presque certainement l’attention du public à la musique et à l’interprétation des chanteurs.
Il n’y a aucune bonne raison pour que le public ne puisse pas comprendre la majeure partie du texte lorsqu’il est chanté, surtout dans une salle assez intime. À mon avis, écouter attentivement est de loin préférable à passer la soirée à regarder de haut en bas, essayer de lire et de regarder en même temps. De plus, dans la comédie, les surtitres font souvent rire aux mauvais moments !
Bref, les traductions écrites peuvent peut-être aider à attirer les gens, mais elles peuvent aussi gêner l’expérience musicale et théâtrale pour laquelle ils sont venus. Il peut sembler risqué pour les grandes compagnies d’affronter cette réalité, mais je pense que nous pouvons être courageux à Saguenay. Les gens d’ici semblent être prêts pour l’aventure.
Don Giovanni est-il adapté aux publics qui ne connaissent pas l’opéra ?
Absolument. C’est l’un des meilleurs choix si vous souhaitez initier un ami à l’opéra, car il y a quelque chose pour tout le monde. Les personnages sont très convaincants ; la relation entre Don Giovanni et son assistant est particulièrement divertissante, mais ce sont finalement les personnages féminins qui nous touchent le plus, non parce qu’elles sont les victimes, mais parce qu’elles ont le courage de se défendre.
Il existe cependant de meilleures options pour initier un enfant à l’opéra ; nous ne vendons pas de billets pour les moins de 12 ans. Cela ne signifie pas qu'il y aura de la nudité sur scène, mais il y aura une certaine forme de violence. De toute manière, le sujet n’est pas approprié pour un jeune public. L’année prochaine par contre, nous ferons un spectacle pour un public familial !

Pour les amateurs d’opéra, Don Giovanni est une pierre angulaire du répertoir qui est au carrefour de l’histoire musicale. C’est une oeuvre qui a eu une énorme influence sur toute l'histoire culturelle occidentale. Cependant, vous n’avez pas besoin de tout savoir pour l’apprécier. Venez simplement vous laisser transporter et découvrir par vous-même !
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POUR EN SAVOIR PLUS ET ACHETER DES BILLETS
Pour plus d’informations sur l’opéra, rendez-vous sur le site Web à operaduroyaume.com.
Les prix des billets sont les suivants :
99 $ (taxes et frais inclus) pour les billets de cabaret (seulement 60 par spectacle)
74 $ (taxes et frais inclus) pour les billets standards
64 $ (taxes et frais inclus) pour les rangées arrière
Il y a un rabais de 20 % aux personnes de 18 à 34 ans et de 50 % aux personnes de 12 à 17 ans. Le spectacle n'est pas adapté aux jeunes enfants.

Vous pouvez vous procurer des billets :
par Internet à reservatech.net
par téléphone au 418-545-3330
en personne dans le point de vente de la région. (Jean Coutu du boul. Talbot, Tabagie Nelson, Bibliothèque d’Alma, Familiprix de Roberval.)
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